- Jocelyne Calas
Le nourrissage hivernal des oiseaux aux mangeoires
Ne tournons pas autour du pot, tel qu’il est généralement pratiqué (boules de graisse et mélange de graines bon marché), le nourrissage des oiseaux leur fait bien plus de mal que de bien.

Que ressort-il des études scientifiques sur le sujet ?
De nombreuses études démontrent que l’alimentation anthropique (apportée par l’homme) aux animaux sauvages est souvent plus pauvre et mal équilibrée en nutriments par rapport à leur alimentation naturelle (Schoech et Bowman, 2003 ; Schoech et al., 2004 ; Jones et Reynolds, 2008 ; Anderson et al., 2015, Isaksoon et al., 2017).
L’énergie qu’ils ne dépensent plus en recherche de nourriture désagrège les rapports sociaux entre individus et génèrent de nouvelles pathologies chez les oiseaux sauvages. Ulcères, hypertension, athérosclérose et l’excès de cholestérol étaient jusque-là des maladies humaines.
Le nourrissage favorise la transmission de pathogènes et rend les animaux dépendants.
Halte la ! Boules de graisses !
« La consommation excessive de graisses polyinsaturées (comme celles généralement incluses dans les boules de graisse, souvent de basse qualité) augmente le stress oxydatif. »

« Arrivée sur le marché de mauvais reproducteurs : la graisse apportée aux adultes induit une réserve énergétique plus faible dans les œufs pondus au printemps et des déficits en caroténoïdes chez les jeunes poussins. » (Plummer et al. 2013).
« La survie des juvéniles nourris avec des aliments gras comme les cacahuètes et les boules de graisse est compromise. »
Pourquoi de telles conséquences ?
1) En hiver Ils ont besoin de davantage de calories et d’antioxydants car la consommation d’oxygène dans les cellules augmente ce qui engendre des radicaux libres. Les caroténoïdes des précurseurs de la vitamine A et la vit E, réduisent ce stress oxydatif … Or les boules de graisse ne font qu’amplifier le stress oxydatif.
2) La graisse entraine le risque d’une élévation rapide du taux de cholestérol. Leur métabolisme est très rapide cela peut leur être fatal. (8x plus rapide que le nôtre pour un rouge-gorge).
3) Composition des boules de graisses : souvent issues d’un mélange de mauvaises graisses (du bœuf ou du porc qui contient 31% d’acides gras saturés et le suif 50%). Conservateurs, E311 E320 (2 anti-rancissement des graisses). Le 1° est interdit dans les denrées alimentaires dans l’UE depuis le 25 avril 2019, le 2° est un perturbateur endocrinien reconnu et cancérigène possible selon le CIRC … Sans commentaire.
4) L’huile de palme et l’huile de coco présentent les mêmes risques qu’une graisse hydrogénée. L’huile de palme contient 49,00% d’acides gras saturés, plus l’impact écologique que nous connaissons. L’huile de coco en contient 85% ! Donc les recettes maison … C’est pas bon !
Quelques autres sources scientifiques :
Effects of winter food provisioning on the phenotypes of breeding blue tits. Kate E. Plummer et al. Ecology and Evolution. 2018;8:5059–5068.
Winter feeding of birds increases productivity in the subsequent breeding season. Gillian N. Robb et al. Biol. Lett. (2008) 4, 220–223
· Does food supplementation really enhance productivity of breeding birds ? Timothy J. E. Harrison et al. Oecologia 2010
“Winter food provisioning reduces future breeding performance in a wild bird » Plummer KE, Bearhop S, Leech DI, Chamberlain DE, Blount JD, , Scientific Reports, 2013.
https://www.zoom-nature.fr/le-nourrissage-hivernal-affecte-la-reproduction-des-mesanges-bleues/
https://www.zoom-nature.fr/le-nourrissage-des-oiseaux-en-hiver-peut-changer-leur-bec/
Tentons d’y voir plus clair
Les oiseaux « des jardins » sont des animaux sauvages, ils savent parfaitement répondre à leurs besoins physiologiques. Enfin, tant que leur environnement le leur permet.
Leur alimentation doit correspondre à ce que la nature est censée leur offrir. C’est-à-dire des denrées indigènes (locales) et bien entendu, non transformées.
Selon les espèces, leur alimentation est constituée de graines, de baies, de fruits, de pétales, de bourgeons et d’insectes. Ils y trouvent les calories, les mélanines (certaines protéines), la lysine (acide aminé essentiel très présent chez les insectes), les caroténoïdes(provitamines A-bêta-carotène), les vitamines, et toutes autres sources vitales indispensables.
Cette alimentation naturelle étant codée dans leurs gènes, tout bouleversement aura des conséquences perturbantes sur leur métabolisme.
Ainsi la meilleure aide que nous puissions leur apporter, est de pérenniser leur autonomie par une végétalisation de nos espaces verts qui réponde à leurs besoins.
Alors faut-il nourrir les oiseaux en hiver … Ou pas ?
Tout d’abord précisons que l’aide hivernale devrait-être uniquement occasionnelle lors de conditions climatiques ou environnementales particulièrement difficiles.
Cela peut être une option transitoire dans l’attente que vos espaces verts soient devenus nourriciers.
Pour les zones perturbées comme les régions de cultures intensives et les grandes agglomérations, nos supplémentations alimentaires ne serviront malheureusement pas à grand-chose sans un programme de restauration de la biodiversité suffisamment viable pour la faune.

Il est important de comprendre que ce n’est pas parce qu’ils les apprécient ce qu’on leur donne, que c’est bon pour eux !
Toutes les espèces animales choisiront toujours la facilité pour se nourrir car pourquoi aller chercher nourriture alors qu’un buffet est ouvert ?
Ils sont déjà suffisamment malmenés par les perturbations de leurs milieux de vie et les impacts du réchauffement climatique.
Toutefois, il est tout à fait possible de leur procurer une aide alimentaire adaptée à leur métabolisme.
Si vous les nourrissez, votre but n’étant pas de les rendre dépendants ni de leur nuire, offrez-leur ce que la nature est censée leur offrir.
1° Des aliments non traités et non transformés.
2° De la diversité afin de ne créer aucune carence.

Par exemple si vous donnez essentiellement des graines de tournesol ; malgré leur richesse nutritive vous allez provoquer un sérieux déficit en acides aminés essentiels, protéines, mélanine, lysine et caroténoïdes.
La lysine est essentielle car elle se concentre dans les muscles, contribue à la croissance des os, à la formation du collagène, des anticorps et au métabolisme des glucides.
Ces acides aminés essentiels sont surtout présents dans les insectes, les oléagineux (noix, noisettes et pignons de pin pour les plus riches), graines d’avoine, de millet ainsi que les pommes.
Un oisillon ayant souffert d’un manque d’insecte (lysine) durant sa croissance sera forcément en mauvaise santé. Son organisme pourra libérer les radicaux libres qui rendent sa mélanine cancérigène et destructive.
La carence en caroténoïdes fragilise l’oiseau dans ses fonctions vitales antioxydantes, photo-protectrices, thermorégulatrices et antimicrobiennes.
Les principales sources de caroténoïdes pour les oiseaux sont le pissenlit (le plus riche), l’ortie, les plantains, l’oseille, l’amarante, les graines de fenouil, de persil et les petits pois.
La couleur étant aussi un marqueur physiologique de l’état de santé. Dans les pires cas le plumage révèlera des traces de faim (atteinte de leucisme et d’albinisme partiel).
Vous êtes à présent en mesure de vous poser les questions suivantes :
ai-je les moyens financiers pour bien nourrir les oiseaux ?
Ne sont-ils pas capables de se débrouiller bien mieux que ce que je crois ?
Pourquoi acheter des aliments puisque j’ai un jardin ? Quelle superficie vais-je végétaliser pour la faune ?
Si vous optez pour le nourrissage
Avant de vous engager, sachez que vos apports devront être réguliers et que l'interruption doit se graduellement.
Achetez vous des mélanges de graines du commerce ? Si oui, soyez très vigilants quant à leur provenance et à la composition du mélange. Pas trop de maïs et pas de blé car ce dernier n’est pas nutritif pour les oiseaux, il n’est là que pour faire du volume à bas prix.
Bon marché = forcément de mauvaise qualité …
Afin d’améliorer les mélanges, vous pouvez y rajouter des graines non traitées :
privilégiez des ajouts d’amarante et de sarrasin, ainsi que de l’avoine, du millet et du petit tournesol noir.
Amarante (Amaranthus cruentus)
Riche en caroténoïdes, protéines 16% %, d’excellente qualité par la présence de lysine 14%, lipide 8%, acides gras (oméga-3, oméga), glucides 62%. Vitamines : A, B2, B3, B5, B6, B9, C, E, K. Minéraux et oligo-éléments : fer, calcium, magnésium, manganèse, phosphore, potassium, cuivre, zinc, sélénium.
Avoine, le gruau (grain entier)
Il fait partie des céréales les plus protéinées. Protéines 17 %, lipides 7 % (principalement que des acides gras insaturés, seulement 1.2 de saturés), glucides 66 %, amidon 36 %, grande quantité de calcium, de fer, de potassium et vitamines B. Valeur énergétique d’environ 389 kcal/100 g. Propriété déstressante.
Δ Mieux vaut le tremper une nuit dans l’eau une nuit car la graine sèche est difficile d’extraction et donner dans une mangeoire à part … Avec modération car tout comme le chanvre, il active l’accouplement entrainant des pontes prématurées. Donc, ne pas donner en même temps que le chanvre et arrêter un mois avant la période de nidification.
Carthame des teinturiers ou faux safran (Carthamus tinctorius)
Plante introduite et cultivée, elle ressemble au chardon. La graine est riche en acides gras mono insaturés. Surtout pour les oiseaux se nourrissant au sol comme l’accenteur mouchet, bouvreuils, bruants et moineaux.
Chènevis (chanvre cultivé)
Protéines 23%, lipides 32, glucides 32, vitamines A, B, C et E (antioxydants) minéraux et fer.
Mésanges, sittelles, becs croisés, chardonnerets, tarins, verdiers, bouvreuils pivoine, bruants, etc.
Millet
Il est très apprécié par une foule d'espèces. Protéines 10 %, lipides 4, glucides 65, amidon 62, phosphore, vitamines et minéraux. Calories 350 K.
Sarrasin
Protéines 13%, lipides 3.5, glucides 71, amidon 35%, vitamine B, manganèse. Calories 343 k. Antioxydant puissant et action probiotique.
Tournesol noir
Plus petit et plus facile à décortiquer, il s’adresse à un plus éventail d’espèces.
Tournesol strié : protéines 16%, lipides 45, glucides 15, amidon 1, cellulose 16, minéraux 3. Contient des vitamines E et B, magnésium, cuivre, manganèse, phosphore, calcium, magnésium. Calories 640K. Δ Un apport majoritaire de tournesol va créer un sérieux déficit en acides aminés essentiels, mélanine, lysine et caroténoïdes qui leurs sont indispensables.
Concassez des noix et des noisettes pour les fringilles.
Noisette
Excellente source d’acides gras mono-insaturés. Protéines 17%, lipides 57, glucides 7, vitamine E, B1, B6, cuivre, manganèse, magnésium, fer, zinc, Antioxydants.
Noix
Protéines 14%, lipides 63, glucides 10, amidon 1.5, vitamines E, B, K, minéraux, magnésium, potassium, sélénium, caroténoïdes. Antioxydants.
Le poste de nourrissage
Le « poste de nourrissage » est constitué de différentes mangeoires espacées d’au moins 2,5 mètres afin de limiter les éventuelles épidémies et les disputes.
Les mangeoires sont installées à l’abri des prédateurs, du vent et des intempéries.
Exposition sud-est ou sud-ouest.
En dehors des lieux de passage et à bonne distance des nichoirs et bains d’oiseaux.
Les graines doivent absolument être protégées de la pluie.
Une mangeoire à plateau avec un toit couvrant protègera les graines et conviendra à un large éventail d’espèces).

Parer les Risques sanitaires
Moisissures = champignons & prolifération d’agents pathogènes.
Conservation des aliments à l’abri de la lumière et de l’air dans une boîte hermétique.
L’entretien est primordial car les mangeoires et les bains d’oiseaux favorisent la transmission de pathogènes.
Les oiseaux sont très sensibles aux infections et aux intoxications alimentaires provoquées par les moisissures et certaines bactéries qui entrainent des intoxications alimentaires et des maladies souvent mortelles. (salmonellose, colibacillose, tuberculose aviaire, etc.) …
La LPO conseille même de ramasser les graines tombées au sol.

Liste des aliments nocifs
Tous les aliments transformés
Sel : absolument tout ce qui contient du sel rajouté (charcuterie, fromage, Chips, pain, tout reste de repas, etc.).
Le sel entraine des dysfonctions physiologiques et cérébrales, l’oiseau devient engourdi, lent et vulnérable. À forte dose le sel bloque le cœur et les reins car ils n’ont pas de vessie.
Aliments sucrés autres que les fruits frais. Δ Les fruits secs ont une teneur en sucre plus élevée.
Produits laitiers : les oiseaux sont intolérants au lactose (même si le rouge-gorge et les mésanges en raffolent …)
Graisses animales : suif (bœuf, mouton), saindoux (porc), lard, beurre et fromage contiennent beaucoup trop d’acides gras saturés.
L’hydrogénation des graisses obstrue les vaisseaux sanguins. La consistance tartinable des margarines végétales est obtenue soit par hydrogénation soit par la présence d’huiles de palme ou de coco.
Pain et ses dérivés : biscottes, pâtisseries, etc. n’ont aucune valeur nutritive, peu de vitamines et de minéraux. Ils donnent l’illusion de satiété et leur composition est des plus que nocive (sel, levure).

Sec, ils étouffent ! Mouillés, ils gonflent dans l’estomac et deviennent collants ce qui peut bloquer le système digestif et entrainer la mort.
Enfin, lorsqu’ils demeurent dans l’eau ils favorisent la prolifération de bactéries et les problèmes sanitaires qui s’ensuivent.
Levures : elles provoquent des gonflements qui donnent la sensation de satiété.
Tous les aliments déshydratés : ils entrainent la mort par étouffement due à la compression du jabot qui se gonfle sur la cavité pulmonaire.
Flocon et bouillie de céréale : risque d’étouffement, ils adhèrent aux plumes et au bec. Grande perte de la valeur nutritive par rapport à la graine.
Cacahuètes : bien que prisées par de nombreuses espèces pour leur richesse en protéines et en lipides, le risque d’empoisonnement par aflatoxine est important.
L'aflatoxine, est une mycotoxine produite par des champignons qui se développe avec l'humidité (intempérie, condensation, mauvais stockage, miettes qui tombent au sol, etc.). Elle est reconnue pour causer de nombreux décès aux mangeoires en impactant le foie et le système immunitaire.
Pomme de terre : elle contient une dose infinitésimale de cyanure.
Avocat : il contient de la persine (toxine fongique très dangereuse pour les oiseaux, mais aussi et à moindre degré pour la plupart des mammifères : chat, chien, chevaux, lapin, etc.)
Riz, noix de coco, chocolat, cacao …
Note : selon certains ornithologues, les larves de mouches (asticots) et les vers de farine vivants pourraient perforer l’estomac des oiseaux. Information que je ne suis pas en mesure de confirmer, mais dans le doute, je préfère m’abstenir et vous conseiller les vers déshydratés.
De l’eau …
Les oiseaux aiment et ont besoin d’eau …
Se désaltérer bien sûr, mais aussi se baigner. Sachez que les passereaux ne savent pas nager, aussi gare à la noyade ! La profondeur ne doit pas dépasser 5 cm.

Si vous ne faites qu’une chose pour les oiseaux, alors que ce soit l’eau.
Vous avez un jardin, des pelouses, un champ non cultivé ?
La meilleure chose que vous puissiez faire est de rendre ces espaces verts vivants et nourriciers. Qu’ils soient riches d’insectes et offrent une belle diversité de baies et de graines de végétaux locaux ou indigènes.
Semez des fleurs sauvages, conservez un espace d’orties, une parcelle de pelouse avec des pissenlits, une friche pour les herbacées, une prairie adaptée si vous avez de l’espace. Plantez quelques arbustes à baies, apprenez à partager vos récoltes, laissez des légumes monter en graines (salades, persils, etc.), végétalisez en conséquence et vous ferez bien des heureux … Dont vous-même.
C’est l’aide la plus pérenne et respectueuse
que vous puissiez leur apporter.

Article rédigé par Jocelyne Calas, conceptrice d'espaces verts
& conseillère en biodiversité.